Fabriquer un récit sensible pour convaincre nos interlocuteurs de l’urgence d’agir

Penser l’urbanisme par les sens, le lier à des expériences culturelles, créatives et décalées sont des manières de fabriquer la ville. Oser faire un “pas de côté” pour conduire le changement, est un des enjeux de l’urbanisme et de l’aménagement pour raconter la transition écologique.

Nous sommes tous touchés à divers degrés par la dissonance cognitive vis-à -vis du changement climatique et de ses conséquences qui fait que nous avons des difficultés à concilier nos pratiques avec notre conscience individuelle ou collective. En plus, des chercheurs nous disent que notre cerveau nous joue des tours en nous empêchant “naturellement” de réagir, bref en nous poussant à “faire l’autruche”.

Dans notre domaine de l’écologie urbaine, nous interpellons au quotidien nos interlocuteurs sur le changement climatique, ses impacts en matière de carbone, la nécessité d’adapter les territoires et la nécessité de protéger la biodiversité.

Parfois.. souvent, nos interlocuteurs nous disent “mais ça, tout le monde le sait, mon problème c’est de faire avancer le projet” (qui est un somme d’injonctions contradictoires : qualité / coût / environnement / délais / etc.). … et d’oublier que les vrais enjeux sont d’une nature qui oblige à changer radicalement les façons de faire dans l’urbanisme et l’aménagement dès à présent.

Comment résoudre cette dissonance cognitive à titre individuel et collectif et aller au-delà des injonctions contradictoires ?  En ancrant plus profondément la conscience collective écologique dans nos métiers ! 

Le pouvoir de l’expertise

Nous avons conscience du changement climatique, c’est le fruit de nos études, de nos réflexions, de notre “back-ground”, etc.  Peu à peu cette conscience environnementale se diffuse auprès de nos interlocuteurs, notamment grâce à notre action mais aussi celle de nos confrères et consoeurs. Pour renforcer cette conscience partagée, il faut  convaincre, c’est-à-dire amener nos interlocuteurs, par de l’expertise et un raisonnement, à reconnaître comme justes et indispensables les actions écologiques. 

L’expertise, c’est un savoir-faire sur un ou plusieurs sujets acquis par les études et les expériences. Malheureusement, l’expertise perd parfois de sa valeur aux yeux de nos interlocuteurs car l’urbanisme est un domaine très large et complexe qui nécessite plusieurs expertises, les sujets que nous traitons sont nouveaux et la connaissance n’est pas toujours aboutie et expérimentée. D’où l’importance de l’approche écosystémique.

 

Le poids de la raison

Il est nécessaire de bien préciser nos raisonnements / démonstrations, de développer nos argumentaires. L’argumentation est trop souvent confondue avec la méthodologie dans nos métiers.  Or une méthodologie va permettre de mener à bien une étude, une mission, mais pas forcément proposer un raisonnement qui va convaincre notre interlocuteur. 

Le raisonnement, c’est aussi la stratégie et la mise en récit. Il repose sur quelques règles simples : bien formuler ce que l’on cherche à démontrer, déployer des arguments pour prouver ce que l’on a annoncé, mettre en récit en utilisant la narration qui donne du sens à ce que l’on raconte, conclure en rappelant les tenants et aboutissants de la démonstration.

 

Le rôle des émotions

La crise écologique est aussi une crise de la sensibilité. Notre goût et notre disponibilité la plus sensible au monde, comme aux œuvres, ont été en partie mutilés par la réification de la nature qui a accompagné la Modernité (Bruno Latour). Avoir une relation plus intime, plus sensible, plus enrichie au vivant : telle est peut-être une façon accessible de rompre avec la réduction moderne délétère de la Nature à une matière inanimée (Descola, 2005), et de faire émerger des relations plus saines et plus riches.

Comment enrichir, complexifier, raffiner notre sensibilité et celle de nos interlocuteurs ?  En utilisant d’autres médias, supports pour offrir de nouvelles représentations, de nouveaux symboles, de nouveaux imaginaires.

La mise en récit sensible est un moyen puissant pour convaincre nos interlocuteurs de l’urgence d’agir et de leur pouvoir pour le faire. 

L’approche par le sensible permet d’enrichir le débat, de faire émerger des relations saines et foisonnantes. Incorporer l’art, le théâtre ou la poésie servent ce dialogue entre transition écologique, participation citoyenne et projet, à la confluence entre écologie et sensibilité, plus proche du vivant.

En utilisant des médias innovants, des représentations nouvelles, les imaginaires sont stimulés. Dessiner, photographier, filmer, illustrer, schématiser ou croquer des scènes visent à changer les rapports à l’aménagement et à l’urbanisme pour faire évoluer nos pratiques. 

Par exemple, l’urbanisme avec les pieds, en faisant appel aux sens, promeut l’expérience du dehors et d’”apprendre en apprenant” hors les murs.

La poésie comme mode d’expression urbaine, l’art dans les travaux, la venue d’artistes jouant des scénarios, l’expression par des cartes sensibles voire sensorielles sont autant d’activités  qui permettent de libérer les émotions et d’enrichir les perceptions et les propositions. 

 

Écologie Urbaine & Citoyenne entrecroise art, sensibilité, projet urbain et concertation.

Par exemple, la concertation sur le projet d’aménagement des boulevards bordelais vient affirmer cette pratique. Lors de la première réunion publique, en septembre 2023, la compagnie de théâtre Les Créants est venue amorcer ce temps par des improvisations, impulsant une ambiance moins formelle et plus souple, par le rire et l’humour, pour aborder le sujet des évolutions indispensables de la mobilité urbaine.

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